L'ÉQUIPE

Youcef Mecheri : « Le handicap ne veut rien dire dans le breakdance »

Petit, Youcef Mecheri aurait aimé pratiqué les arts martiaux mais il a découvert le breakdance. (Stéphane Mantey/L'Équipe)
Petit, Youcef Mecheri aurait aimé pratiqué les arts martiaux mais il a découvert le breakdance. (Stéphane Mantey/L'Équipe)

Youcef Mecheri, 32 ans, danseur professionnel sous le pseudo « Bboy Haiper », raconte dans la rubrique « Fenêtre sur corps » du « Magazine L'Équipe » comment le breakdance lui a permis d'effacer son handicap aux yeux des autres.

Pas le temps de lire cet article ? Découvrez la lecture audio.
ma liste
commenter
réagir

« À 8-9 ans, j'ai commencé à comprendre la vie. Je voyais tout le monde aller à l'école à pied, moi, ma soeur m'y emmenait dans une poussette. J'étais obligé, on n'avait pas les moyens d'acheter une chaise roulante. Mais je n'avais pas honte.

L'ÉQUIPE

Ce qui me tue, c'est le regard des gens. Hier à la gare du Nord, une femme m'a vu en train de marcher avec mes béquilles et elle m'a donné un euro. Il y a tellement de préjugés... Je n'aime pas quand on te donne tout parce que tu es handicapé. Je ne crois pas au mot "handicap", d'ailleurs.

Pour moi, un handicap, c'est quand tu as un truc à faire et que tu dis que tu n'en es pas capable. Or, rien n'empêche de rien, sauf si tu as un handicap dans la tête. Moi, je me suis affranchi de tout ça, je fais ma vie comme les autres.

L'ÉQUIPE

Petit, je voulais pratiquer les arts martiaux, je kiffais ça. En Algérie, à cette époque-là, il n'y avait pas grand-chose, et pour les handicapés, il n'y avait vraiment rien. Un jour, j'ai vu un groupe danser et un gars m'a montré une vidéo de Bboy Junior (célèbre breakeur français originaire de Kinshasa, atteint de la poliomyélite à l'âge de 2 ans). Là, j'ai vu que je pouvais faire un truc. Le handicap ne veut rien dire dans le breakdance, c'est ce qui m'a attiré.

« Ma figure préférée, c'est quand je saute de mes béquilles, comme une attaque de lion »

En Algérie, les garçons qui dansent sont mal vus, les gens les prennent pour des voyous. Ma famille ne pensait pas que je pourrais en vivre. Aujourd'hui, je suis professionnel et elle est très fière de moi. La France, c'est là qu'il faut être, on y organise beaucoup d'événements. Je gagne parfois des battles contre des gens qui ont toutes leurs capacités.

En 2017-2018, après être arrivé en France, j'étais tout le temps au charbon dans la street. Je faisais des spectacles jusqu'à 2 heures du matin, à Saint-Michel. C'était le seul moyen pour survivre. Je m'entraînais cinq heures par jour, tous les jours. J'ai forcé. À cause de ça, en 2019, des infections à ­répétition ont commencé. J'ai perdu 6 kg à cause de ça. Mais je vais les rattraper vite fait, je vais ­manger comme un ouf.

Youcef Mecheri joue cinq à six spectacles par jour. Chacun d'entre eux dure trente-cinq minutes. (Stéphane Mantey/L'Équipe)
Youcef Mecheri joue cinq à six spectacles par jour. Chacun d'entre eux dure trente-cinq minutes. (Stéphane Mantey/L'Équipe)

En ce moment, mon spectacle s'appelle la Béquille d'or. Je raconte mon histoire avec mes béquilles, dont j'ai découvert l'usage à l'âge de 10 ans. Au début, c'était dur, douloureux. Aujourd'hui, mes mains sont marquées mais c'est de la corne, je n'ai plus mal.

Vers 12 ans, je me demandais pourquoi je ne marchais pas comme les autres, j'avais envie de jeter les béquilles. Mais si je fais ça, je ne peux pas marcher. Elles m'ont aidé toute ma vie, j'en ai besoin, elles me protègent.

La première chose que je fais quand je commence à créer un spectacle, c'est chercher une musique pendant des heures. Ensuite, je commence à construire la chorégraphie dans ma tête. Vu que ça fait vingt ans que je danse, je maîtrise tout ce que je fais.

Youcef Mecheri, c'est...
« À peu près » 1,56 m et 49 kg
1 rôle d'ambassadeur pour le breaking aux JO de Paris.
1 tournéeEn route vers les JO, avec le multiple champion du monde de breakdance Mounir Biba.
1 spectacle au théâtre du Châtelet, du 4 au 21 juillet.
1 performance de trois minutes prévue pendant les cérémonies d'ouverture des Jeux olympiques et des Jeux Paralympiques.
Bruce Lee comme légende (Youcef fait des pompes sur les pouces) et Muhammad Ali comme idole (lui aussi s'est fait tabasser et a dû se battre).
Des téraoctets d'images en stock pour préparer un documentaire sur sa vie.

Dans la rue, pour attirer les gens, on met de la musique, on s'échauffe. On forme des cercles de malades, de 1 000 à 1 500 personnes. Une fois j'ai bloqué toute la place de l'Hôtel de Ville ! Quand je suis au milieu, je suis concentré. J'ai des flash-back aussi. Je sais qui je suis, je sais d'où je suis parti, ce que j'ai surmonté.

Ça me permet de m'exprimer naturellement. Je joue cinq à six spectacles par jour, c'est beaucoup. Chacun dure trente-cinq minutes, avec des solos de deux à six minutes. Ma figure préférée, c'est quand je saute de mes béquilles, comme une attaque de lion. Parce que moi, je suis un lion. »

publié le 28 avril 2024 à 11h00 mis à jour le 28 avril 2024 à 11h00
Les commentaires sont soumis à des règles de modération. lire la charte