L'ÉQUIPE

Paris-Dakar en 20 jours, la première tranche de désert

Steven Le Hyaric. (Léo Coulongeat/Erisphère)
Steven Le Hyaric. (Léo Coulongeat/Erisphère)

Reliant Paris à Dakar en 20 jours - soit une moyenne de 285km/jour - Steven Le Hyaric a achevé le premier volet de son défi « 666 » : traverser six déserts, sur six continents, en six mois, pour attirer l'attention sur les effets du réchauffement climatique. Et partager son émotion.

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L'aventure moderne

Aventurier : il ne récuse pas le mot. Quoiqu'il confie quelque pudeur à l'endosser, eu égard aux modèles d'identification que sont pour lui Mike Horn ou Sylvain Tesson, c'est bien comme tel qu'il se rêve et s'exécute. Mais dans un monde où l'écart aux sentiers battus ne vous confronte désormais pas moins à la puissance de la nature qu'à sa fragilité, l'aventure consiste de plus en plus à se confronter à la défiguration que l'homme lui fait subir. Aux explorations édéniques ont succédé les progressions effarées sur les océans de déchets plastiques ou les glaces amoindries, dans les forêts dévastées. Sans compter que, reposant elle-même, sur quelque forme de financement, elle impose aussi un exercice permanent de communication : éloignement et engagement physique mais présence « réseau sociale » obligatoire.

Steven Le Hyaric (dont on a déjà parlé ici) est un athlète, un jeune homme soucieux de lui et de son corps, mais il est aussi en quête de sens. L'aventure « aveugle » ou « égoïste » ne l'intéresse pas. Il faut un thème, et une cause noble à ses défis : c'est l'importance des ravages écologiques, et la modification du climat qui les lui fournissent. Son projet « 666 » (six déserts, six mois, six continents) veut focaliser l'attention sur la désertification rapide des lieux habitables, et la menace qui pèse jusque sur nos verts pâturages. Les images du cycliste perdu dans ces immensités uniformes, brûlantes ou glacées attirent notre attention sur la catastrophe en cours : et s'il nous fallait vivre « là » ?

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Steven Le Hyaric. (Léo Coulongeat/Erisphère)
Steven Le Hyaric. (Léo Coulongeat/Erisphère)

Vent, genoux, détresse

Steven vient donc d'achever le premier de ses six périples, bouclant un Paris-Dakar en... vingt jours. 5 622 km, soit une moyenne de 285k par jour. Au départ de Paris, silhouette couchée sur son vélo bardé de sacoches et d'éclairages, il roue plein Sud. Dans le vent et la pluie beauceronne, tourangelle, dans le vent et la neige fondue basque. Il n'est pas aussi bien préparé qu'il l'aurait souhaité, car il s'est fracturé l'omoplate un peu plus d'un mois auparavant. Quelles qu'en soient les causes, le fait est qu'après trois jours ses genoux commencent à le faire souffrir, et à enfler. Il suit la trace de Compostelle, il commence à faire chaud. Mais le vent reste défavorable.

À Algésiras, le ferry pour Tanger a du retard, il ne dort pratiquement pas, et enchaîne pourtant les 300 km qui le mènent à Rabat. Le vent tourne enfin et devient favorable, mais ses genoux le mettent au supplice. Il pleure chaque matin au moment de repartir, sous les yeux de ses followers qui l'inondent de messages d'encouragement. « Je n'hésite pas à partager ma détresse. Ce sont les émotions qui éveillent les gens. Et l'affection que je reçois en retour me galvanise. » Il décide « d'accepter » la situation, bien conscient que la douleur elle-même ne se saurait exister sans un sujet pour la percevoir, et comporte une part de « sens ». « C'est sur ce sens qu'il faut agir. À Marrakech j'ai vu un kiné qui ne donnait pas cher de la suite de mon aventure ».

Steven Le Hyaric. (Léo Coulongeat/Erisphère)
Steven Le Hyaric. (Léo Coulongeat/Erisphère)
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Apothéose et suite au prochain épisode

Mais, malgré des moments de colère et de désespoir, c'est l'Atlas qui le console. Pour tenir son tableau de marche - près de 300 km/jour, et 8, 10 ou 11 heures de selle - il roule le jour et nuit. Le Hyaric est un mystique, c'est une forme de révélation qu'il cherche dans le voyage et la fatigue. « En Mauritanie, 200 bornes avant Nouakchott, quand j'ai vu qu'il faisait déjà 40 °C à dix heures du matin, j'ai eu une sorte de crise de folie. J'ai pleuré, crié, parlé comme un dément pendant... je ne sais pas : longtemps. » D'autre fois, sous la voie lactée, tout se renverse et il a « l'impression de rouler en plein ciel ». On le sait : dans le désert/depuis trop longtemps/ tu t'demandes à quoi ça sert.

Certes, il avait planifié son arrivée à Dakar, et contacté un journaliste local. Mais il ne s'attendait pas à être fêté comme il le fut. « À 70 bornes de Dakar, j'ai vu une première moto venir à ma rencontre, et rouler à mon côté. Puis une deuxième, une troisième. Puis des scooters, des vélos. À la fin il y avait même des mecs en skate, c'était dingue. » Puis, au pied de la pharaonique statue de la Renaissance africaine, c'est un concert de percussions donné par des femmes qui célèbre son exploit.

Alors qu'il rentre tout juste, et qu'il s'occupe d'interviews en conférences, à la promotion de son périple, il ne songe déjà qu'à repartir. Mais en bonne logique, ce qui fait obstacle à l'exploration de la nature, c'est l'anti-nature, l'artefact par excellence : l'argent. Aux côtés de ceux qui jouent le jeu (Garmin, Punch Power, Njuko, Compressport, Mavic), tous les partenaires ne tiennent pas toujours leurs promesses, et il s'est endetté. Il est pourtant bien possible de le revoir dès juillet, les coudes posés sur le guidon, progressant sur les nuances ocre du désert d'Atacama.

Le désert évoque la mort sur une planète où la vie doit tout à l'eau. Elle y existe pourtant, mais sous des formes particulières, souvent dissimulée et en tout cas, réduite. Le désert est un entre-deux : entre la vie et la mort, il espace les êtres, c'est le royaume des solitudes. Le visage de l'inhumanité : pourvu qu'il reste le terrain de jeu de quelques aventuriers, et ne devienne pas la règle, nous serons sauvés.

publié le 15 avril 2019 à 16h01 mis à jour le 16 avril 2019 à 15h33
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