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L'exploit de deux Français sur la prestigieuse Race Across America

Jean-Luc Pérez et Evens Stievenart. (Facebook Evens)
Jean-Luc Pérez et Evens Stievenart. (Facebook Evens)

Jean-Luc Pérez et Evens Stievenart sont bien connus des milieux de l'ultra-endurance. Le duo s'est offert la prestigieuse Race Across America (4 941 km), signant le record de l'épreuve : 6 jours, 10 heures et 39 minutes. Ils reviennent sur cet exploit qui n'avait pas forcément bien débuté.

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D'Oceanside dans le comté de San Diego, à Annapolis dans le Maryland, il y a une trotte. Il y a des déserts brûlants d'Arizona, il y a les Rocheuses et leurs cols à plus de 3 000 m, il y a les plaines emblavées du Kansas, du Missouri, les vallonnements de l'Illinois, de l'Indiana, et puis il y a les Appalaches. Il y a surtout la Race Across America, la plus mythique des épreuves d'ultra-endurance, et ses 4 940km pour 5 4000m de D +. Une paille. Les Français Jean-Luc Pérez et Evens Stievenart, bien connus des milieux de l'ultra-endurance, s'alignaient au départ de la RAM pour en battre le record, dans la catégorie « duo ». Pas question de se contenter de participer. Ils l'ont fait avec brio le 22 juin 2019.

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Malgré les jours et les nuits qui ont défilé, la fatigue qui s'accumule jusqu'à l'écoeurement, le duo a grignoté son retard jusqu'à la fin. Dans la traversée des Appalaches, avec ses ascensions plus courtes et plus brutales, Evens grimpe, Jean-Luc se charge du plat et des descentes. La nuit du 5 au 6e jour est terrible. « Nous étions sur le fil, il ne fallait rien lâcher ». Lorsque les deux Frenchies franchissent enfin la ligne à Anapolis, la nuit est tombée. Ils ont roulé 4 941km en 6 jours, 10 heures et 39 minutes, à 32 km/h de moyenne. Et le record de l'épreuve est tombé : la différence est de 15 km, soit 0,1 km/h de mieux en vitesse moyenne. Énorme et minime à la fois.

Mais les deux hommes peuvent savourer leur exploit. La mauvaise chute de Jean-Luc, une semaine avant le départ, n'est plus qu'un mauvais souvenir. Tout comme la stupeur de toute l'équipe qui, sans avoir été prévenue, l'avait vu débarquer à l'aéroport sur un fauteuil roulant ! « Il n'avait rien. Il ne tenait pas debout, mais sur son vélo, ça allait. Ce type est une force de la nature », résume Arnaud Manzanini.

Le staff de Jean-Luc Pérez et Evens Stievenart. (D.R)
Le staff de Jean-Luc Pérez et Evens Stievenart. (D.R)

Deux coureurs et un staff

Jean-Luc Pérez est prof de physique au Lycée Louis-le-Grand à Paris, alors qu'Evens Stievenart est pilote automobile, vivant aux États-Unis. Accessoirement, l'un et autre sont cyclistes aguerris à l'ultra-distance, notamment aux courses de 24 heures. Pérez a remporté les 24H de Sebring en 2017, et Stievenart l'a emporté deux fois au Mans, en 2016 et 2017, année où il parcourt 950 km.

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Pour se préparer à la RAA, Jean-Luc Pérez contacte Arnaud Manzanini, double finisher de l'épreuve (en 2013 et 2015). Son expérience sera précieuse dans une discipline plus que tout autre fondée sur le gain marginal. « En ultra-endurance, la réussite est vraiment une accumulation de détails, et cela concerne aussi bien la planification que la capacité à s'adapter aux circonstances pendant la course », explique-t-il. Petit à petit, avec le soutien financier des partenaires, Manzanini réunit un staff de treize personnes autour des deux athlètes. Quatre voitures : une grosse infrastructure.

(D.R)
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Rien n'est laissé au hasard : réunions téléphoniques, répétitions. On établit le rôle de chacun, sa place dans telle voiture, on précise la moindre tâche, jour par jour, heure par heure. Il peut s'agir de relever exactement ce qu'avalent les coureurs au fil des heures, car le suivi rigoureux du plan nutritionnel est impératif, ou de mettre à jour le parcours, ou simplement de conduire.

En tant que chef d'équipe, Arnaud Manzanini doit ajuster sa stratégie en temps réel. Ajuster l'allure aux déviations imposées par l'organisateur, ou aux conditions météo. « Il est arrivé que je leur demande de ralentir pour leur éviter de rouler sous la pluie, ou que nous nous appliquions à rester au sud d'une dépression, juste à la pointe pour se glisser dans les vents favorables ».

Vent défavorable et finesse psychologique

L'équipe a construit le tableau de marche sur une analyse minutieuse des précédents records, et fixé à 250W la puissance-seuil à ne pas dépasser. Jean-Luc et Evens se relaieront en moyenne toutes les 75 minutes. Voilà pour la théorie, en tout cas. Car dès le départ, après quatre heures de route, première contrariété. Dans le désert, un fort vent de face les ralentit « là où nos prédécesseurs l'avaient eu dans le dos, roulant à 60km/h, nous avancions à 35 ! » Résultat, après une journée de course, le duo a déjà déboursé 4 heures sur les prévisions : énorme.

(D.R)
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Pour combler leur retard, la stratégie des Français consistera à ajuster précisément le registre spécifique des deux athlètes aux changements du terrain. Par exemple : « à la sortie du Colorado juste avant le col de Wolf Pass Creek, il y a un long plateau de 18 miles : nous avons mis Jean-Luc, qui est un énorme rouleur, sur son vélo de chrono. Puis Evens, le meilleur grimpeur des deux, a enchaîné le col proprement dit en 55'. »

Plus que tout, le chef d'équipe doit faire preuve de finesse psychologique. « Evens a besoin de beaucoup de précisions, il veut tout savoir, Jean-Luc est un peu différent. Malgré tout, il était de ma responsabilité "d'adapter la vérité" [sic] à leur état de fatigue. Je ne pouvais pas tout leur dire, et j'ai souvent minimisé notre retard, ou la distance qui restait pour achever chaque relais, afin de ne pas les décourager. » C'est en cela que l'expérience de Manzanini s'est avérée précieuse. « Je connais cette fatigue extrême liée à l'effort et à la privation de sommeil. Elle vous fragilise, un rien peut vous briser le moral ». Sans soutien, ce genre d'exploit est impossible.

publié le 28 juin 2019 à 11h53 mis à jour le 1 juillet 2019 à 09h10
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