Fred Horny est de ces hommes qui vont au bout de leurs limites. À la frontière entre le possible et l'impossible. Le vététiste français rentre tout juste d'un trip dans le nord du Caucase, en compagnie de l'Américain Dan Milner, avec lequel il a pédalé pendant huit jours autour de l'Elbrouz, point culminant de l'Europe à 5 642 mètres.
Après douze heures de vélo quotidiennes, à 3 800 mètres d'altitude, ces deux férus d'aventure plantaient leur tente une fois la nuit tombée. Puis recommençaient. Encore et encore. Chacun ses vacances. Fred Horny n'est pas du genre à passer août les deux coudes dans le sable en regardant mourir les vaguelettes à ses pieds.
Durant les deux semaines précédentes, c'est au Kirghizistan qu'il avait traîné ses pneus à crampons. En compagnie de Richard Bord cette fois-ci, autre photographe piquousé aux grands espaces. Plus le temps passe, plus cet amoureux de dépaysement s'interroge sur « ce qui fait l'aventure ».
La nécessité vitale de rencontrer l'autre
Dans la préparation de ses voyages, il y a bien évidemment des séances physiques puisque sa condition doit être optimale durant ses différents périples. Pour le reste, il ne se prépare « pas trop », explique-t-il. Car c'est dans cette impréparation relative que réside le « potentiel d'aventure » d'un projet. « À la limite, avec les outils modernes, si tu prépares absolument tout, tu peux aller d'un point à un autre sans jamais parler à personne. Et le voyage pour moi, c'est exactement l'inverse : une grande dose de solitude devant le paysage, et la nécessité vitale de rencontrer l'autre. »
La difficulté, c'est plutôt le ravitaillement. « Plusieurs fois, nous sommes arrivés après douze heures de vélo, sans trouver le "magasin "promis. Cinq maisons en guise de village, et un Algeco en guise d'épicerie, où tu ne peux acheter que des Snickers et du Fanta. »
« Ce sera toujours ouvert. »
Alors, c'est une cabane qui s'ouvre, des murs de guingois emmaillotés dans une bâche plastique, dont émerge subitement une femme, venue prendre les eaux aux sources chaudes de la rivière Jiluu-Suu. Elle leur dit, désignant sa porte : « Ce sera toujours ouvert ». « Et elle prépare le thé, c'est-à-dire un repas, que nous partageons assis sur le tapis ».
Plus tard, alors qu'ils cherchent leur route, on les siffle. Ils plissent les yeux sous la lumière de midi. Un homme, et une petite cabane encore. Mais cette fois-ci surprise, la bicoque est pleine : quinze personnes, quinze visages tannés au soleil, et quelques bouteilles de vodka.
« Pas le choix, il faut accepter de boire un coup avant de repartir ». Une autre fois, au pied de montagnes qui paraissent plus hautes que le ciel, dans un isolement de bout du monde, c'est un couple de personnes âgées. « Ils étaient là avec leurs petits-enfants. Le vieil homme a fait un geste du bras : "Venez !" Ils nous ont offert du fromage, et du koumis [lait de jument fermenté, ndlr], préparé du riz. Les gens qui n'ont presque rien te donnent tout. Quand on est reparti, le vieux pleurait. »
L'aventure sur le pas de la porte
Étrangement, plus il roule sa bosse, plus Fred Horny se persuade que l'aventure se joue à toutes les échelles. « Pas forcément besoin de partir loin ou de se mettre en danger, l'aventure commence sitôt qu'on change un peu ses habitudes. On peut la vivre sur le pas de sa porte, et à l'échelle d'une journée ».
Il précise que pour partir à l'aventure, il suffit simplement de « partir sans GPS autour de chez soi, sans avoir préparé son parcours, bifurquer selon l'inspiration, et n'utiliser le téléphone qu'en cas d'urgence. Il faut créer sa solitude, et se mettre en situation d'avoir à demander son chemin. La seconde fois, on aura envie que ça dure : on aura emmené sa tente pour passer une nuit en pleine nature. Puis deux, puis... »
Il hésite un instant, puis en matière de conclusion, cite cet adage trouvé sur internet : « Mieux vaut une aventure qui casse qu'une routine qui trépasse » !