L'ÉQUIPE

Bike trip en Éthiopie : des sources du Nil Bleu au sommet du Ras Dashen

Après avoir exercé divers métiers dans le milieu du cycle, Fred Horny s'est enfin décidé à mener la vie aventureuse dont il rêvait. Après le Népal, c'est sur l'Éthiopie qu'il a mis le cap, en quête de paysage et de relations humaines moins formatées.

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Ayant parlé à Fred Horny, le téléphone encore chaud dans la main, on se dit ceci : qu'il n'est peut-être pas très pertinent d'attribuer à l'«aventurier» cette volonté de fer - rigide, indestructible - qui le pousserait en avant. Car Fred ne semble pas tant poussé par ce qu'il sait, qu'aspiré par l'Inconnu. Le principe moteur est sous son nez, pas dans son dos, et se dérobe mètre après mètre à sa roue avant. Au fond, le rêve de l'aventurier, même s'il doit à cette fin déployer des moyens explicites, c'est d'aller de surprise en surprise. De passer à travers les voiles, à la rencontre du monde et des hommes.

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L'ordre des priorités : partir

Vouloir, donc. Et faire le tri de ce qu'on veut, et de ce qu'on veut «ne pas». Pour ce qui le con-cerne, c'est dans la musique, que les possibilités macèrent, et que la sélection s'opère : depuis toujours le soir au coin du feu, Fred gratte la guitare ou active le poumon de son accordéon. Et il chante, ritournelles apaisantes ou ska-punk. Skieur de haute volée, il s'éprend tôt du vélo. Il est encore à l'âge où il faut envisager sa trajectoire d'entrée dans la vie adulte. Rêveur, il concède quelques accès de pragmatisme : un DUT «tech de co» l'outille au seuil de la vie professionnelle.

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Après quoi, au fil des expériences, par épurations successives, il formule patiemment son désir. Il apprend l'Allemand en Allemagne, suit sa petite amie et supervise une école de ski au Québec, il passe deux ans assis au SAV chez Lapierre, se lève et s'en retourne à Val d'Isère vivre de ski, il conduit une voiture de dépannage pour Mavic, renoue avec Lapierre mais en plein air cette fois-ci, passe chez Canyon.
Et puis, boum : il sait, maintenant.
L'ordre des priorités.
Il veut de l'air et du panorama. Du bleu et de la perspective.
Il veut partir à vélo.

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Avec un groupe de doux givrés de sa trempe, c'est d'abord le Népal, où ils pédalent et rident à plus de 5 000 m (genre : t'en voulais de l'air ? Ben, il n'y en a plus !). Enfin, à l'automne dernier, il envi-sage d'abord le Kirghizistan puis, après consultation de l'accordéon, il se ravise et se décide pour l'Éthiopie. Rien que ça : la corne de l'Afrique, le berceau de Lucy et de l'humanité, terre de la Reine de Saba et des Negus, dernière fugue et exil de Rimbaud, décor du Kebra Nagast et contrée origi-naire pour les Rastafariens, qui virent en Hailé Sélassié dernier empereur d'Éthiopie, rien moins que le Messie. Fred rêvait d'Afrique subsaharienne sans trop savoir pourquoi. Peut-être parce que les lieux sont rares, où les rapports humains ne soient pas complètement faussés et codifiés par le tourisme. L'évocation du parc naturel du Simien, et d'un massif montagneux abritant le «deuxième plus grand canyon du monde», qui plus est vierge de tout crampon de pneu, fit le reste. Il est vrai aussi que, hormis une courte période d'occupation italienne avant la Seconde Guerre Mondiale, l'Éthiopie est la seule nation d'Afrique à n'avoir pas été colonisée par les Européens.

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Il trace donc son parcours dans la région Nord (loin du Harar de Rimbaud) : au départ du Lac Tana et des sources du Nil Bleu, et à destination du Ras Dashen, «toit de l'Éthiopie» culminant à 4 550 m. Il sait que la difficulté du périple ne sera pas tant physique - après tout, les cyclistes bien entraînés ne manquent pas - que morale, et il part avec Guillaume, alias Monkey, rompu aux chamboulements du voyage.

Une relation à hauteur d'homme

Car à voyager dans un pays si pauvre que l'Éthiopie (qui malgré une forte progression reste extrêmement fragilisé par les catastrophes successives : famines, sida, guerres, dont la plus récente avec l'Érythrée a laissé les deux pays sur les genoux), l'adage selon lequel le vélo « ouvre toutes les portes » semble bien naïf.

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Fred et Monkey se heurtent donc parfois à un accueil glacial, et ravalent leur sourire. L'hostilité est même parfois explicite, les jets de cailloux ou les coups de bâton menacent. «Toujours, les enfants sont les plus virulents, explique Fred. À dix douze ans. Plus âgés, ils sont aussi plus ''éduqués'', cadrés par les anciens et en quelque sorte mieux outillés pour la rencontre.» S'il n'est jamais évi-dent de s'approcher quand on ne se connaît pas, quand on ne partage ni la langue ni le mode de vie, ces conditions n'amincissent pas la tâche. Nos deux gaillards cherchent les bons gestes, les bonnes postures.

«Comment rétablir une relation "à hauteur d'homme", c'est-à-dire, qui ne soit pas grevée d'emblée par la différence économique ? se demande Fred. Comment faire entendre sa sincérité - sa nudité en quelque sorte ? Le paradoxe, c'est qu'il ne faut pas arriver trop souriant. Il faut accepter et endurer une sorte de rapport de force, si l'on veut échapper au schéma habituel "J'ai de l'argent ou des objets à donner" qui annule tout autre possibilité d'échange humain. Ce qu'il faut faire comprendre, c'est "Je n'ai rien à offrir qu'une rencontre improbable, une expérience à partager, mais au fond c'est le plus précieux." Il faut avoir ce courage, au fond c'est une question d'honnêteté. Ensuite l'échange est plus équilibré. Tu n'es plus l'éventualité d'un billet, mais un humain comme les autres, et qui accepte sa vulnérabilité devant l'autre : après tout, on aurait pu me voler mon vélo maintes fois. Ce devait être tentant, bien sûr. Cet objet hors de prix et sans pareil.»

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Nos cyclistes ont préparé des fiches, et s'essaient à l'amharique (langue officielle - tout le monde la connaît, même si l'oromo est aussi répandu) dont ils maîtrisent bientôt quelques mots. Au fil des jours et des villages, les rapports se détendent.

De Gondar au Ras Dashen : châteaux et altitudes

Ils passent par Gondar, ancienne capitale de l'Empire, où abondent églises et châteaux. Mais si merveilleuse que soit la cité, fondée au 17e siècle par l'Empereur Fasilidas, si étonnante qu'en soit l'architecture, marquée par des influences diverses (l'Empire était chrétien orthodoxe mais comptait aussi beaucoup de musulmans, à quoi il faut ajouter l'empreinte «baroque» dues aux missionnaires jésuites), Fred et Monkey ne tardent pas. C'est au retour seulement qu'ils prendront le temps, qu'ils arpenteront l'enceinte du Fasil Ghebi, qu'ils se laisseront inviter à un mariage, et disputeront en amharique de l'existence de Dieu ! Pour l'heure, ils filent à bon rythme vers le parc du Simien. Après chaque lessive, le linge sèche en roulant, accroché aux sacs à dos. Le soir, Fred enfile au coin du feu ses petites sandales souples - récupérées dans quelque spa : son petit confort bourgeois.

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Après cinq jours de vélo (sans compter une journée de pause liée aux prévisibles soucis entériques), les voilà à Debark, haut lieu du trekking où tout se passe comme si la présence régulière de «touristes» aggravait la violence de l'accueil, ayant aiguisé localement, avec la conscience des disparités, le ressentiment. Pour progresser dans le parc naturel du Simien, a loi leur impose un scout, un guide : Worgo les suivra, en voiture ou à pieds, l'AK47 en bandoulière. Une étape plus loin, au camp de base de Chennek, à 3 600 m d'altitude déjà, ils reçoivent la visite de babouins géladas qui s'intéressent de près à leurs vélos. Ils aperçoivent même le loup d'Abyssinie, dont la cohabitation avec les singes interroge les éthologues.

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Ils décident de doubler la mise, et d'enfiler deux sommets dans la foulée. Ils partent dans la nuit, et passent par le Mont Bwawhit (4 437m) avant de monter au Ras Dashen (4 550 m). Descente su-blime, face au soleil. Worgo avec dans veste de costume élimée et son écharpe, dans ses sandales de plages et toujours le fusil en bandoulière, court presque à leur côté ! Au moment de gravir les derniers hectomètres du Ras Dashen, des enfants bergers leurs ouvrent la voie, qui monteront aussi la garde autour des vélos, la nuit venue. Perchés là-haut, et penchés sur la faille du canyon, ils jouissent un long moment d'un panorama que se partagent les roches abruptes, les lichens et, plus bas, de larges pans vert sombres, avant de redescendre vers Chennek, toujours poursuivis par la foulée légère de Worgo.

La deuxième moitié du voyage, qui verra Fred et Guillaume, redescendre vers le lac Tana sera plus paisible. Plus habiles déjà, à nouer le contact avec les habitants, ils prennent leur temps. Ils sont, on l'a dit, de mariage à Gondar. Ils cabotent parmi les nombreuses îles du lac Tana, où les moins orthodoxes se réfugièrent pendant les djihads du XVIe siècle, y bâtissant églises ou monastères, s'extasient devant les sources du Nil Bleu.

Voir le monde, n'est-ce pas toujours remonter à la source ?

publié le 29 avril 2019 à 17h00
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