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Eugène Saccomano, une voix de légende s'éteint

Eugène Saccomano, en 2004 (De Martignac/L'Équipe)
Eugène Saccomano, en 2004 (De Martignac/L'Équipe)

Figure d'Europe 1 puis de RTL, le journaliste Eugène Saccomano est mort ce lundi, à l'âge de 83 ans. En août 2015, L'Équipe lui avait consacré un long portrait dans une série sur « les grandes voix du sport ».

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PORTRAIT PUBLIÉ LE 18 AOÛT 2015

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Il a crié, hurlé, roulé des « r » et des yeux, la bouche bien ronde, pendant plus de quarante ans rue François-Ier et rue Bayard, à Paris. Aujourd'hui, même s'il est monté en grade route de l'Empereur - à Rueil-Malmaison - où il vit, Eugène Saccomano, le pape du commentaire de foot d'Europe 1 puis RTL, a baissé d'un ton dans son pavillon de l'ouest parisien. À soixante-dix-huit ans (à l'époque en 2015), il prend la voix douce du papy du Sud pour s'assurer que sa petite-fille n'a besoin de rien au rez-de-chaussée. À l'étage, son bureau respire le livre plus que le foot. Il y a bien une affiche du Mondial 1982, à Saragosse, dédicacée par le dessinateur Folon et, pêle-mêle, des photos avec Jean-Luc Lagardère (l'ex-patron d'Europe 1), Michel Platini, Guillaume Durand ou Robert Chapatte. Tout le reste n'est que littérature, de Louis-Ferdinand Céline à Jean Giono, ses passions de toujours, en passant par ces « Américains, découverts assez tard », comme James Salter ou Philip Roth.

Au début de l'été, le Gardois né à Marseille a embarqué dans la machine à remonter le temps. Il prépare un livre sur le destin tragique du joueur autrichien Matthias Sindelar, surnommé « le Mozart du football », disparu en 1939. Au cours de ses recherches, il vient de découvrir « dans un livre affreux sur les secrets des nazis que Reinhard Heydrich, l'homme de la solution finale, faisait ça uniquement pour son ambition personnelle et qu'il était escrimeur et violoniste... »« J'aime beaucoup aller flâner dans les librairies... Maintenant je ne fais plus qu'écrire », ajoute-t-il.

« En pleine classe, je commentais des matches en imitant deux types qui m'impressionnaient à la radio, Georges Briquet et Bruno Delaye »

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Entre deux piles de bouquins à l'équilibre incertain, on aperçoit une boîte d'Euphon. Ces petites pastilles qui lui sauvaient la mise lorsqu'il était enroué renvoient à l'homme de radio qu'il a été. « Une fois, en revenant d'un match à Lens je me suis senti aphone. Je suis quand même allé voir un spécialiste qui soignait les chanteurs d'opéra. Il m'a donné des gouttes, deux jours après je commentais. Mais je n'ai jamais trop pris soin de ma voix. »

Ce fils de boulanger a pourtant pris conscience très jeune de son pouvoir vocal. C'était en cours de maths au lycée de Nîmes, en 1951. Il a quinze ans quand il refait le match pour la première fois. « On avait un prof sourd comme un pot qu'on appelait Zozo. On lui demandait : ''Monsieur, est-ce que je peux aller baiser votre femme ?'' Il répondait : ''Attendez que votre camarade en revienne !'' Alors, en pleine classe, je commentais des matches en imitant deux types qui m'impressionnaient à la radio, Georges Briquet et Bruno Delaye (1). » Et Sacco, redevenant Eugène, part dans les aigus : « Nîmes Olympique reçoit Le Havre aujourd'hui avec ses vedettes Kader Firoud et Joseph Ujlaki, le formidable Brésilien Pires Constantino, le Hollandais Théo Timmermans, son avant-centre Marcel Rouvière, un pur Gardois, et son gardien international Stéphane Dakowski ! » Il atterrit, l'air malicieux. « La classe aimait beaucoup ça. C'est comme ça que ça a démarré. »

Autant dire qu'il a pas mal d'entraînement à l'heure de se présenter au concours du meilleur radio-reporter sportif junior de France, organisé par L'Équipe Junior en 1952. La règle est simple. « Il fallait raconter un match imaginaire en une minute. J'avais fait Nîmes-Le Havre. Et il fallait poser trois questions à une vedette. À Nîmes, c'était Firoud. » La prestation du jeune Saccomano à l'Olympia, le cinéma voisin du lycée, lui vaut le premier prix national, devant... Thierry Roland, et un voyage aux Jeux Olympiques d'Helsinki, deux ans avant de disputer la première édition de la Coupe Gambardella avec les Crocodiles, en tant que milieu offensif.

C'est toutefois en presse écrite, au Provençal, à Marseille, qu'il débute avant de redonner de la voix, comme correspondant d'Europe 1 dans la cité phocéenne en 1960 puis à Paris, en 1970 pour les flashes. « Au début, j'ai été mauvais ! En plus, je trimbalais mon accent de Marseille ! » Six ans plus tard, aux sports, il est plus à l'aise et s'égosille avec l'épopée des Verts. « Mes cris datent de Saint-Étienne. Le but de Rocheteau contre Kiev (2), le troisième, là j'ai fait un numéro ! » Mais un an plus tard, à l'occasion d'une tournée de l'équipe de France en Amérique du Sud, il se rend compte qu'il n'est qu'un petit joueur. Face à l'Argentine et malgré le match nul et vierge, Sacco découvre le légendaire reporter de Radio Rivadavia, José Maria Munoz, le maître des interminables « gooooooooool » qui hurlera comme jamais en 1978 pour le Mundial argentin. « C'était le meilleur au monde, l'écouter c'était formidable. »

« Pour choper l'auditeur, je jouais sur les aigus, les changements de tempo, je faisais les montagnes russes. Je faisais du théâtre à la radio, avec une part de comédie »

Au Brésil, il entre encore dans une autre dimension. « J'ai vu des trucs étonnants. Des types qui descendaient de la tribune avec le micro et qui allaient au point de corner pour interviewer le joueur ! ''Où tu vas le tirer ? Au premier poteau ? Au deuxième ?'' Et tout ça en direct avec les fils qui partaient des cabines ! Ça m'avait épaté ! » C'est là, entre la Bombonera (stade situé à Buenos Aires), le stade du Maracaña et Belo Horizonte, au Brésil, que Saccomano trouve sa voix et un style à faire vibrer les auditeurs d'Europe 1.

Seul bémol à l'importation, la langue... « L'espagnol ou le portugais s'adaptent beaucoup plus au reportage radio que le français. C'est sûr. Elles permettent une rapidité extraordinaire dans l'élocution que nous n'avons pas. On est aussi l'un des rares pays européens à ne pas avoir d'accent tonique. Et il manque beaucoup parce qu'il correspond bien au football avec les ralentis, les accélérations... Alors, pour choper l'auditeur, je jouais sur les aigus, les changements de tempo, je faisais les montagnes russes. Je faisais du théâtre à la radio, avec une part de comédie. Mes envolées, c'est la traduction d'un enthousiasme que j'ai naturellement sur une action. Quand je vois une superbe action de Messi ou Neymar, ça m'emballe ! Quand le ballon est au milieu de terrain, tu n'as pas besoin de t'exciter. En revanche, quand il entre dans la surface de réparation, oui, là tu t'excites ! Ça, on ne le fait pas bien en France. Denis Balbir le fait bien. » Mais ce dernier n'échappe pas à la critique qui accompagne d'ordinaire les enthousiastes des micros. « C'est vrai, déplore Sacco. Les footeux sont méprisés. Et alors les footeux enthousiastes ! On n'est pas très appréciés... On nous prend pour des nullos, des abrutis. Pour certains, j'étais Sacco le braillard, mais je m'en foutais. »

Son cas s'est encore aggravé en 1998, lors de la création sur Europe 1 du Match du lundi, rebaptisé On refait le match en 2001 sur RTL. Sacco ressort d'un tiroir une photo de l'une des premières émissions. On y reconnaît Pierre Sled, Guillaume Rebière, Vincent Machenaud et Claude Bellei. Un talk-show et des polémistes, « un petit théâtre » à double inspiration. « Ça venait du Masque et la plume de France Inter et du Processo del lunedi de la RAI 3 en Italie, une émission de débat assez violente. » Mais là où son homologue des lettres est respectable, lui est réduit au rang de tenancier de café du commerce, comme il en existe des dizaines aujourd'hui. « Grosso modo c'est ça... On rentrait dedans, mais à la différence du café du commerce, il y avait toujours de l'info dans l'émission, se défend-il sans convaincre. Même si beaucoup de gens me prenaient pour un cinglé, j'ai toujours été un mec d'info d'abord. » Avec « deux scoops incomparables ». Aux Jeux de Munich en 1972 d'abord, où il revendique la primeur de l'info de la mort d'otages israéliens « à onze heures moins vingt, j'étais à la bonne porte, je voyais sortir les pilotes allemands. J'avais entendu la fusillade. À minuit, l'AFP affirmait encore que ''tous les otages étaient sains et saufs''. On était les premiers à l'annoncer... Mais à cette époque, il y avait une religion de la dépêche... » Et l'histoire retiendra celle de Charles Biétry. « On s'est souvent attrapés à ce sujet. » Dix ans plus tard, pour le transfert de Michel Platini à la Juventus Turin, il n'y a pas photo. « J'appelle la Juve et je demande au président à parler à Bernard Genestar (l'agent de la star). Et il me le passe ! Il était fou de colère. "Tu vois, je t'ai trouvé ! Il a signé ou pas ? Il va signer mais ne le dis pas ! Attends demain matin !"Je l'annonce à 17 heures, bien avant les dépêches. »

« On m'a proposé de faire des soirées avec des souvenirs, des images, un récit. C'est vrai que j'ai eu plusieurs vies, mais la mémoire à partir d'un certain âge... »

Genestar, il le connaît bien. Lorsque Saccomano organise des galas dans le sud de la France à la fin des années 1960 avec Claude François, Antoine ou Michel Polnareff, son copain Bernard lui donne un coup de main pour les chaises et les affiches. « Jusqu'au jour où j'en ai eu marre de cette vie. Je lui ai filé l'affaire pour me consacrer exclusivement au métier de journaliste. » Quarante-cinq ans plus tard, lorsqu'il croise un amateur de football, il n'échappe pas à la question. « Alors Monsieur Saccomano, ooooooon rrrrrrefaaaaiiiiiiiit le maaaaatch ? » Il a failli le refaire sur scène il y a trois, quatre ans. Mais cet admirateur de Fabrice Luchini et Jean-Pierre Marielle - « quelles voix ! quelle folie ! » - n'a pas voulu. « On m'a proposé de faire des soirées avec des souvenirs, des images, un récit. C'est vrai que j'ai eu plusieurs vies, mais la mémoire à partir d'un certain âge... Et puis je fais des choses qui me passionnent. » Avec la plume, et sans le casque.

(1) Ils commentaient les matches de football sur Paris Inter, l'ancêtre de France Inter, dans les années 1950. (2) Les Verts l'emportent (3-0, a.p.) en quarts de finale de C 1 en mars 1976, après avoir perdu (2-0) à l'aller, à Simferopol (ex-URSS).

publié le 7 octobre 2019 à 19h20
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